Entre les failles du béton, retrouvons les lieux du commun.

 Ce samedi 15 et dimanche 16 décembre s’est tenu à Notre-Dame-Des-Landes un week-end de rencontres entre les différents collectifs de soutien. Malgré la relance des opérations d’expulsions depuis le 23 novembre et dans la continuité de la grande manifestation de réoccupation du 17 novembre des gens venus de différents coins de la France et d’ailleurs se sont réunis pour construire des solidarités nouvelles. Après plus d’un mois de résistance aux expulsions et suite à une mobilisation d’une ampleur inédite, il était temps de se retrouver pour penser ensemble les prochaines étapes du mouvement, les actions et les manifestations à venir.

 Pendant ce temps là, plus au nord, dans une Capitale depuis longtemps sous la coupe de promoteurs et autres « architects », un petit groupe de bruxellois s’était donné rendez-vous samedi après-midi pour construire une cabane sur la place Flagey.

 Sur la grande dalle de béton qui garde le nom de « place Flagey » la lutte menée depuis les bocages landais semble comme un écho lointain. Pour nous qui sommes nés dans les années 80, l’urbanisation de la ville n’a jamais été qu’un projet continu de destruction des quartiers populaires et d’expropriation de leurs habitants. Les (ir)responsables de la région bruxelloise ont toujours voulu favoriser des opérations immobilières qui permettraient de rapporter des taxes sur les bureaux. Mais derrière les dévastations successives et les plus-values énormes englouties par le privé il ne reste rien qu’un désert de béton : un vent froid et insistant qui laisse parfois encore échapper le cri des habitants des bas-fonds. Ailleurs ce sont de nouveaux quartiers lisses et aseptisés, réservés à une catégorie aisée de la population, à la jeunesse européenne branchée et aux hommes et femmes d’affaires. Pour eux la Bruxelles-Capital n’est qu’un « potentiel à optimiser » pour y construire des temples de commerce et de loisirs, des Marinas, des hôtels de luxe, des lofts… Ils recyclent les friches  industrielles en logements de luxe pour riches bunkérisés, déconnectés du tissus urbain et social existant ou, en construisant des habitats au-dessus de la ville, dans un sorte d’upper-urbanité. Sous prétexte de « mixité sociale » ils installent des ghettos de riches dans les quartiers populaires, ils rénovent les espaces publics dans une stratégie qui vise à faciliter les projets immobiliers spéculatifs. Tous ces projets-colonisateurs ils les appellent « developpement » ou « revitalisation urbaine ». Or, la « revitalisation » de Bruxelles c’est précisément ce qui nous rend la vie invivable. A chaque fois il s’agit de faire basculer les quartiers populaires dans un environnement de commerces réservés à une élite, de lofts repliés sur eux-mêmes ou de projets utilisant les artistes à des fins spéculatives. Mais derrière, ce sont toujours les pouvoirs publics qui confectionnent des plans d’aménagement du sol à la mesure des promoteurs immobiliers. Les crapules qui gèrent cette ville sont dans l’incapacité de construire d’autres rêves que ceux des promoteurs.

 Nous en étions là quand a commencé à se faire ré-entendre la lutte menée depuis plus de quarante ans à Notre-Dame-Des-Landes. A écouter les amis qui y étaient passés, qui en revenaient, à lire les textes et à entendre la parole des paysans quelque chose d’important était entrain de revenir : la possibilité d’empêcher collectivement et par la lutte la destruction et le réaménagement des lieux de vie par le Capital. On se remémore alors la bataille des Marolles, les langues se délient et ça reparle du Nord qu’on a perdu, des comités de quartiers, du Midi qu’ils nous ont construit, de tous ces salopards d’architect, du voûtement de la Senne, du quartier de Notre-Dame-Aux-Neiges. On parle aussi du présent, de la bataille du Canal, du projet de Marina à Anderlecht, des anciennes poêleries Godin, des ambitions dévorantes d’Atenor, … mais aussi de la bagarre que mènent les habitants de l’avenue du Port et ceux de la rue du Progrès. Ca donne du courage et ça fait peur, on sent en nous le ravage de le dépossession, le prix des loyers qui nous fait partir toujours plus loin, l’invivable au quotidien. On ne sait toujours pas comment faire la révolution mais on sait que l’on est pas seul. Notre-Dame-des-Landes nous permet de faire ce détour nécessaire à la reprise des luttes urbaines. On a envie de ré-entendre les anciens, ceux qui se sont battus et qui n’ont pas lâché, malgré les défaites et la violence des fronts de modernisation. On a aussi envie de discuter des tentatives de participation avec les pouvoirs publics, de leurs échecs et de leurs récupérations, sans jugement moral mais pour trouver de la force et de l’intelligence, ensemble. On a lancé un comité mais c’est plus un espace de rencontres et de croisements, un lieu pour ne pas oublier et aussi pour rêver. On s’y prend la tête mais on finit toujours autour d’une bière. Puis on s’est donné rendez-vous place Flagey. On y a tous trainé un moment de notre jeunesse, on y a zoné de longues après-midi d’été. On parle des travaux, du bassin d’orage, des pavés piégés, du parking extérieur, des frites qui ne sont plus ce qu’elles étaient du temps d’avant. On se souvient plus très bien, on a beaucoup oublié.

 Ce que l’on sait c’est que les travaux de la place et son réaménagement ont été l’enjeu d’une lutte importante des habitants. Que cette lutte a été doublé d’un processus participatif : un concours d’architecture. Notre impression est que le réaménagement de la place Flagey cristallise un tournant dans les luttes urbaines. Désormais la revendication est celle de la « participation » : on informe et on consulte. Avec le parking géré par Vinci, construit au-dessus du bassin d’orage et l’écran géant de la place, nous sommes entré dans l’ère de l’urbanisme consultatif des commissions de concertation. La participation est devenue l’idéologie qui permet d’obtenir au moindre prix l’acquiescement des gens intéressés et concernés. La nouvelle place Flagey est le prototype de la recréation d’espaces urbains subordonnés à la performance économique, transformant tout occupant de l’espace public en client. La ville est la cible de réinvestissements multifonctionnels d’espaces publiques propres, assainis, confortables, sécurisés. Ces dernières années nous avons subi la multiplication des formes de réappropriations initiées tantôt pat le privé, tantôt par le public et soutenus par les autorités territoriales pour ramener “Bruxelles-Capital” sur la carte des endroits phares de l’événementiel d’art contemporain. Certaines formes purement événementielles de « réappropriation » n’hésitent pas à clôturer l’espace public et à donner d’avantage de places à la publicité par le biais du sponsoring, du mécénat, ou du partenariat public-privé (PPP). Dans le même temps le droit de se rassembler dans l’espace public a été sans cesse sujet à des exceptions et des limitations. Le réaménagement de la place Flagey est au coeur de ces contradictions. Une mobilisation inattendue a forcé les pouvoirs publics à organiser un concours d’architecture qu’il ne souhaitait pas au départ. Mais une fois la place rouverte en 2008, toute forme de participation fut immédiatement exclue. Les commissions de concertation, les plates-formes citoyennes sont devenues les espaces d’une nouvelle forme d’hégémonie, celle d’une élite participative, d’une aristocratie citoyenniste. Mais ce qui manque toujours aux bruxellois, c’est le pouvoir. Ce que nous rappelle la lutte menée depuis les bocages de Notre-Dame-Des-Landes c’est la nécessité de recréer des espaces de décisions autonomes pour prendre en charge collectivement les moyens d’existence.

Aujourd’hui la moitié de la place est réquisitionnée par le cirque Bouglione. Nous, on se partage le reste avec le marché. Alors on est venu avec quelques palettes, des visses et des visseuses et on a construit une petite cabane, un lieu d’information sur la lutte menée à Notre-Dame-Des-Landes, un lieu aussi où les enfants peuvent venir se cacher dans l’attente des beaux jours où les fontaines referont la joie des éclats d’eau. C’est tout ce qu’il nous reste et ça ne rendra pas la place plus habitable. Mais c’est de là que l’on peut partir et l’on reviendra.

Vinci
dégage !

Jamais
aucun bassin n’arrêtera l’orage !

toutes les photos de l’action place flagey : http://zadbxl.noblogs.org/videos-photos/

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